[Chronique] Journal de Silwenne

La première journée à l'académie vient de s'achever et mon impression est assez mitigée, outre la fatigue qui me gagne à l'heure où j'écris ces lignes aussi serais-je brève. D'une part je suis heureuse d'être ici, et plutôt surprise aussi d'ailleurs, mais c'est une bien bonne surprise. Il y a beaucoup d'élèves, près de mille selon Maître Gynji, mais je n'ai réellement discuté qu'avec une poignée d'entre eux. Bon nombre d'étudiants sont focalisés sur leurs examens de fin d'année et n'ont pas l'envie, ou ne se donnent pas le temps, de faire connaissance. Ce doit être l'effet nouvelle élève, je pensais pourtant que cela aurait suscité la curiosité chez certains. D'autres n'y voient peut-être aucun intérêt.

Maialis et moi avons passées une bonne partie de la nuit à discuter avec Maître Gynji et l'élève Tynstar. J'espère ne pas les avoir trop assommés de questions... mais j'ai besoin de réponses. Le problème c'est que plus j'obtiens de réponse et plus j'ai de nouvelles interrogations mais, j'en viens à la conclusion que je trouverai mes propres réponses en me forgeant mon opinion par moi-même. Si seulement je pouvais me rappeler mon passer se serait plus simple, et moins frustrant. Au lieu de cela les bribes de souvenirs qui me reviennent ne font que renforcer ma confusion. J'ai le sentiment que la réponse, ou une partie de celle-ci, se trouve cachée quelque par dans les Abysses. Ce lieu m'attire mystérieusement, je dois en avoir le cœur net.

Aujourd'hui les élèves ainsi que les chambres ont été fouillés pour trouver des armes, puisqu'elle sont interdites hors membres de la sécurité. C'est la Capitaine Numy qui s'est chargée de moi. C'était agréable de sentir ses mains sur moi et me palper... Dommage que ce ne pu durer plus longtemps. Idiote comme je le suis, je n'ai pas osée lui tendre un piège pour la forcer à insister. Je me voyais mal lui dire une phrase comme : "J'ai une arme cachée sur moi, quelque part... A vous de la trouver !" Mais bon, avec les gardes à côté je risquais plus de la gêner et de m'attirer des ennuis.

La nuit dernière j'ai fais un rêve étrange dans lequel je marchais sous la pluie dans les rues d'une ville côtière. Ma robe collait à mon corps comme une seconde peau et le tissus était devenu diaphane à cause de l'eau, ce qui était un peu gênant puisque je ne portait rien dessous... Mais cela n'avait pas l'air de me déranger. Au détourne d'une rue -elles semblaient toutes désertes- je suis tombée sur une femme. Je ne sais pas son nom mais j'avais l'impression de la connaître... Intimement. Elle pleurait et appelant mon nom. Lorsque je suis arrivée à sa hauteur j'ai voulue la toucher, la prendre dans mes bras pour la consoler, lui dire... Je ne sais pas... Que tout allait s'arranger, que j'étais là à présent. Mais je me suis réveillée. J'ai aussitôt fait un portrait d'elle pour ne pas perdre cette image.
Il faudrait que Maialis et moi trouvions un endroit suffisamment tranquille pour que nous puissions avoir enfin un moment à nous, avant que nous ne puissions plus tenir ! Hier nous avons encore été surprises et cela commence à devenir frustrant de ne pas pouvoir avoir de moment d'intimité. D'un autre côté notre couple n'est pas officiel et je pense que très peu de personnes soient dans la confidence. L'académie est assez grande pour pouvoir y trouver quelques recoins isolés...

La directrice semble très malade, pour ne pas dire à l'article de la mort. Mais c'est une Daeva, elle devrait donc s'en remettre. Cependant elle semble souffrir le martyr, et cela me désole pour elle et ses proches, en particulier pour sa petite fille. Personnellement la mort ne me fait pas peur, c'est une composante du cycle naturel. C'est ne pas mourir qui n'est pas naturel à mon sens. Je pense, d'ailleurs, que ne pas avoir peur de mourir déshumanise -je sais c'est déjà techniquement le cas- les Daevas. Savoir que l'on peut mourir, que tout peut prendre fin et que nous pouvons perdre ce qu'il y a de plus précieux ainsi que ceux que nous aimons et nos proches...

Je crois que je peux dire dans mon cas qu'une bombe vient d'être désamorcée. Ça va mieux ! Enfin un peu d'intimité entre Maialis et moi. Il était temps. Elle est douée et apprend vite. Mais je m'interroge tout de même. Comment, moi, je sais tout ce que je sais sur le sujet... Je me demande parfois, dans ces moments là, si je n'étais pas prostituée dans une autre vie. Il faut vraiment que je trouve les réponses. D'un autre côté, connaissant mon goût pour l'expérimentation et l'exploration j'ai tout aussi bien pu le découvrir sur moi-même. Connaitre son corps c'est important... Surtout si celui de l'être aimé est fait d'après le même plan.

Sinon, à part ça...

Ah si. Premier cours sur la magie : pa-ssio-nant ! Mis à part le prof, Maître Shyndael, qui se prend pour... J'sais pas qui ou quoi... Pas pour de la crotte de porgus en tout cas, ça c'est certain... Bref! Il enseigne bien et c'est cela le principal à mes yeux. Il a éveillé une interrogation que je me dois d'étudier plus en profondeur : la source d'énergie des Balaurs et leur façon de faire de la magie comparé à la nôtre. En plus d'étudier les Abysses et la fuite de l'Éther, lorsque je pourrai m'y rendre, je pourrai faire d'une pierre deux coups. Il faut que je puisse faire des recherches approfondies à ce sujet. Dommage que la leçon ait été écourtée.

Dans la soirée j'ai discutée avec Numy. Elle a débarquée dans une tenue... J'espère que je n'ai pas bavé. C'était une combinaison de cuir ultra moulante qui laissait entrevoir sa peau par des échancrures tout en sculptant ses formes... Difficile de rester de marbre, mais elle est tellement naïve pour ce genre de chose. Elle ne semble pas réaliser l'effet qu'elle peut produire.

Demain c'est la leçon de maintient. J'appréhende un peu. Pour tout dire je n'ai pas envie d'y aller mais c'est un cours obligatoire. Me tenir droite et jouer la petite fille modèle très peu pour moi ! Beurk... J'en ai presque la nausée rien que d'y penser. C'est bon pour les aristocrates ce genre de chose. Hmmm... Quoi que cela pourrait s'avérer utile pour se fondre dans cette catégorie et l'étudiée de l'intérieur. A voir.

Je ne sais pas son nom, je ne sais rien d'elle, sinon qu'elle me manque . . .
Ce portrait éveil en moi une mélancolie, pas de la tristesse, mais de la tendresse. De l'amour ? Ma tête est pleine de trous, de tâches noires qui me rongent et m'agacent. Cette beauté rousse m'est apparut en rêve, encore... Plus je la regarde et plus je ressent comme un remord. Lui aurais-je fais du mal ? Ne rien savoir est une véritable torture, mais serais-je soulagée de me souvenir ou bien serais-je encore plus anéantie ? La réponse risque de me décevoir. Le souffle d'une voix parvient jusqu'à mon âme engourdie de ces rêves oniriques. Mais plus j'essaye de percer le mystère et plus celui-ci semble s'épaissir. Les rêves sont parfois cruels. Les miens le sont.

Comme prévu le cours de maintient était un fiasco total. La seule façon d'éviter la catastrophe aurait été de sécher le cours mais ne pas aller à un cours obligatoire... J'ai écris une lettre à la professeur en essayant, avec mes mots, de lui faire comprendre qu'elle ne devrait pas perdre son temps avec une effrontée telle que moi. Je n'arrive d'ailleurs pas à comprendre pourquoi une femme enseigne la façon de se rabaisser. Autant donner le bâton pour se faire battre. Il y a des milliers de raisons possibles. C'est comme cette façon de devoir regarder le menton de son interlocuteur pour ne pas "l'agresser" en le regardant tout simplement dans les yeux. Si les aristo sont si facilement effarouchés c'est peut-être parce qu'aucun d'entre eux n'est tranquille à l'idée que celui qui lui parle ne va pas lui planter une dague à la première occasion. Les manigances et les complots de salon de thé ne m'intéressent pas. Cependant, sociologiquement parlant, c'est un milieux qui mériterait d'être étudier, au même tire qu'une espèce dangereuse en voie d'extinction. C'est pour cette raison que je me suis inscrite aux cours de sciences politiques, mais je ne peux porter un masque pour ne pas déplaire à des gens qui se croient meilleurs parce qu'ils sont bien nés.

La fin de soirée fut heureusement meilleure en compagnie de Numy qui me confia de qui elle était amoureuse. Comme les chambres ont déjà été fouillées une fois je ne vais l'écrire ici au risque que sont secret ne soit dévoilé. Tout le reste ça me regarde, j'en assumerai les conséquences, mais là il ne s'agit pas de moi. J'espère pour elle que cet amour est réciproque. Si au moins elle avait un peu plus de temps elle pourrait faire l'amour un peu plus souvent, ne serait-ce qu'une seconde fois. Elle ne sait pas ce qu'elle manque ! Comme un fruit délicieux et juteux une fois qu'on y a goûté on ne peut plus s'en passer.

J'attends de voir quelle réaction ma lettre au professeur va déclencher. Précipitation ? Explosion ? Rien ? Je sais que je risque le conseil de discipline et/ou le renvoi. Si tel est le cas c'est sans doute que cette noble institution n'est pas celle que je cherchais. Pourtant la directrice m'a placée au niveau trois, le groupe le plus élevé, c'est qu'il doit bien y avoir une raison. Il ne reste plus qu'à attendre.

J'ai semé le vent... J'attends la tempête.

Quelques pauvres pantins désarticulés me regardent de leurs orbites sans globes, vides et ténébreux. Une fillette aux cheveux sales, autrefois blonds, rampe vers moi en laissant derrière elle une trainée de sang sur le parquet patiné. Elle gémit pitoyablement en se rapprochant de mes pieds nus et je la regarde tendre sa petite main qui retombe dans un bruit flasque. Son visage se relève pour me supplier de ses yeux sans vie, sa bouche est cousue.

Je la regarde fixement, je ne ressent rien. Nulle pitié, nul méprit. Simplement l'absence. Totale, absolue. Une plume noire et sang tombe doucement en tournoyant vers le sol jusqu'à se poser devant elle. Alors elle comprend. Elle accepte l'inévitable délivrance et je peux sentir sa reconnaissance lorsque dans ses yeux vitreux je peux voir mon reflet. Mes ailes viennent de se déployées.

Un océan de larmes tumultueux sous un ciel d'orage. Là, sur la falaise qui surplombe ces vagues courroucées, mon âme est un peu en retrait de mon corps. Je m'observe. J'aimerai me voir franchir le dernier pas, faire cet ultime saut de l'Ange. Une brise iodé joue avec mes cheveux de jais qui volent librement, me donnant l'air d'être en apesanteur. Un masque souriant de porcelaine blanche est posé sur mon visage mais il n'arrive pas à cacher la tristesse de mon regard, ni les larmes qui coulent en dessous jusqu'à ma mâchoire. Je ne sais pas qui je pleur mais j'ai la certitude qu'elle est morte. Ce n'est d'ailleurs pas mon sang qui macule la lame de la dague que je tiens.

Ma pensée de déplace. Je revois la végétation luxuriante d'une île comme une émeraude posée sur l'océan, le soleil brille sur les poussières d'étoiles. Un bûcher funéraire illumine le crépuscule sur une plage de sable fin, et ce froid intense qui me glace. Elle est morte et cette sentence est sans appel, ses cendre dispersées dans l'eau bleue.

Tout n'est pas terminé, il me reste une chose à finir avant... Le masque se fend dans un claquement sec puis s'effrite avant de tomber en poussière que le vent emporte. Je suis une belle humaine, mes formes harmonieuses contrastent avec le désespoir qui se lit à présent sur mon visage. C'est alors que j'entends rire derrière moi. Un rire moqueur, hilare, d'une voix aiguë distordue.

C'est la fillette aux yeux vitreux et elle me pointe de son petit doigt boudiné, mais elle ne me supplie plus. Elle se réjouit de ma pathétique imposture. Je sais que ce n'est pas non plus son sang sur la lame. Alors pourquoi est-elle là ? Je voudrai reculer mais la falaise me rappelle qu'un pas de plus me serait fatal. Pourtant... Pourtant je fais ce pas... Elle cesse brusquement de rire. Je vois le ciel qui bascule et s'éloigne -a moins qu'il se rapproche ?- et mes cheveux qui flottent furieusement devant mes yeux, le vent siffle à mes oreilles, puis c'est le choc dans un craquement sinistre...

Elle est juge et bourreau. Elle est moi et je suis elle.

Je suis allée à l'infirmerie pour obtenir de quoi dormir car mes cauchemars m'en empêchent et mon travail s'en ressent. La journée je suis fatiguée et mes capacités s'en trouvent diminuées en cours, comme si j'avais besoin de ça. Ceylati, l'infirmière, est très gentille. Elle sait écouter et cela m'a fait du bien de lui parler de mes rêves. Je crois qu'elle est un peu psychologue aussi car elle souhaite que je vienne la voir dés que je fais un nouveau cauchemar, même la nuit donc, pour le lui raconter pendant qu'il est encore frais. Je vais sans doute le faire, cela m'évitera de risquer de réveiller Maialis et Eleanne avec ma lumière si je veux noter ceux-ci à mon réveil.

Cette nuit je ne pense pas avoir besoin des pilules que Ceylati m'a donnée car la soirée avec Maialis était très... Forte. Cela ajouté au manque de sommeil je devrait réussir à dormir mais je dois avouer être un peu anxieuse à l'idée de fermer les paupières. Je croise les doigts pour ne pas revoir la fillette aux yeux vitreux ce soir. Si le sexe pouvait être un traitement cela me conviendrait parfaitement !

Qui sait ? Si cela fonctionne ce serait un remède parfait mais, je me demande si il faudra augmenter les doses... Cela risque de devenir intenable si je prend en compte la résistance et l'habitude de l'organisme multiplié par l'éternité dans mon calcul. A bien y réfléchir ça fait froid dans le dos. Un traitement semblant idyllique au premier abord pourrait se transformer en une malédiction. J'aimerai mieux éviter d'en arriver là... Quelque chose de si bon devenir une torture nécessaire.

Je ne veux pas dormir...

Cette nuit, bien avant l'aube, je me suis encore réveillée en sursaut, ultime secours pour échapper à mes rêves. Je me suis levée et suis allée à l'infirmerie comme Ceylati m'avait demandée de le faire. La porte était ouverte et, comme elle ne répondait pas, je suis entrée. Je l'ai trouvée endormie. J'ai hésité à la tirer de son sommeil. Elle est belle quand elle dort... Pas seulement à ce moment là, en fait. C'était la première fois que j'assistais à cela et... Enfin bref. Je n'ai pas réussit à lui raconter tout ce que j'ai vue dans mon cauchemar alors je vais essayer de le faire par écrit, en prenant le temps qu'il faudra pour le faire. En l'écrivant c'est plus facile.

Je me réveil dans une pièce sombre et glacée. Je suis à terre, couchée sur le ventre à même le sol. Ce sol est constitué de pierres grossièrement taillées, ainsi que les murs couverts par endroit d'une fine mousse verdâtres, signe d'humidité. Je ne vois pas le plafond. Je suis dans un cachot sans porte ni fenêtre. Dans un coin une paillasse éventrée a répandue ses entrailles moisies depuis longtemps. Ce que je porte n'est plus que le vestige d'une robe aujourd'hui réduite à l'état de aillons. Ma cheville droite est cerclée d'un fer qui me relie au mur par une lourde chaîne. Le silence est pesant, aussi j'écoute ma respiration pour me rassurer, me rappeler que je suis en vie. Mes cheveux sale cachent une partie de ma vision mais je sens une présence. Je relève la tête et je l'aperçoit, la fillette aux yeux vitreux.

Depuis quand est-elle là ? Je ne l'avais pas remarquée avant... J'étais pourtant certaine d'être seule. Elle m'observe, son petit visage impassible, et je remarque seulement ses vêtements. Elle est habillée comme une écolière, d'une jupe grise et d'une veste noire ornée d'un écusson que je ne reconnais pas. Elle ne bouge pas, elle ne se moque pas. Elle ne fait que me fixer et, bien que ses yeux soient morts, je pense sentir toute l'intensité de son regard qui me transperce l'âme. Lentement sa bouche cousue d'une ficelle sale et rougie de sang séché s'arc pour m'offrir un sourire étrange. Dans un silence absolu elle se retourne pour pointer quelque chose du doigt, derrière elle. Me penchant sur la gauche je regarde ce qu'elle veut me montrer.

Je vois alors, debout contre le mur du fond, un grand miroir. Son cadre est sculptés et la fine dorure est patinée par le temps. Il doit bien faire deux mètres de hauteur sur un de largeur. J'entends alors la chaîne qui me retenait se détacher du mur dans un fracas métallique. Me sentant trop faible pour marcher je rampe sur le sol en trainant derrière moi la chaîne qui me suit en cliquetant. Parcourir les quelques mètres qui me séparent du miroir me paraissent durer une éternité. Lorsque j'arrive enfin devant celui-ci je découvre qu'au lieu de refléter mon image sa surface n'est que ténèbres, un vide absolu. Je tend la main pour toucher la surface : celle-ci est glacée.

Pendant de longues minutes il ne se passe rien, puis, peu à peu, une sorte de brume se forme, comme de la fumée derrière une vitre. Les volutes s'épaississent et prennent lentement la forme d'un visage, il me sourit. Puis c'est au tour d'un autre, triste cette fois. Les visages inconnus s'enchainent maintenant, tous ont une expression qui leur est propre mais aucun d'eux ne m'évoque le moindre souvenir. J'ai l'impression que le monde entier s'est donné rendez-vous et défile dans ce miroir de plus en plus vite... C'est alors qu'un visage plus grand que les autres apparait. Il me fixe gravement. Je vois sa bouche articuler quelque chose mais je n'entend pas le moindre son... Soudain je l'entend, comme le tonnerre claque et gronde après que l'éclair ait déchiré la nuit. Cette voix... Une voix puissante, pénétrante, tellement forte, qui m'agresse au plus profond de mon être. Je le ressent avec une telle violence que je plaque mes mains sur mes oreilles pour ne plus l'entendre. Vainement. Je ne comprend pas ce qu'elle dit, ce ne sont que quelques mots. Parmi ces mots je crois reconnaitre mon nom mais je n'en suis pas sûre. Je suis prise d'une violente nausée qui me soulève le cœur. Je vomit du sang. Ca fait mal. L'expression du visage change pour devenir douloureux, puis haineux, pour se transformer en une chose monstrueuse... Que je n'arrive pas à qualifier... Sinon qu'elle me terrifie presque autant que la voix.

J'ai peur de dormir...

Ce soir je vais essayer les somnifères que Ceylati m'a donné. Il faut que je dorme, je ne tiendrai pas ainsi très longtemps. J'espere seulement qu'avec ces pilules je ne rêverais pas. La fête de l'académie approche à grands pas et je n'arrive pas à me concentrer pour la préparer, je manque d'inspiration... En attendant j'ai fait quelques toiles mais je ne serai pleinement satisfaite que si j'écris un ou deux poèmes. Tout ce que j'imagine ne serait pas présentable, bien qu'ils pourront dire ce qu'ils veulent après tout. Mais nous, élèves, allons représenter l'académie, alors je me dois d'essayer de l'honorer. Serais-je à la hauteur...

Version censurée.


J'ai froid. J'ouvre les yeux difficilement, je me sens engourdie. Il fait si froid que de la buée s'échappe de ma bouche lorsque je respire. Je vois mes pieds qui pendent au dessus d'un sol blanc carrelé. Je suis entièrement nue. Ma tête est lourde, ça tourne un peu, j'ai l'impression d'avoir été droguée. Au prix d'un effort qui me paraît surhumain j'arrive à redresser la tête pour regarder l'endroit où je suis. Il fait sombre mais j'arrive à distinguer les murs, eux aussi couverts d'un carrelage blanc. Sur le mur de droite, au fond, je peux voir une porte à doubles battants. Il y a de gros crochets au mur qui me fait face, avec une trainée brune sous certains d'entre eux. De la rouille ? En essayant de me tourner je réalise que je suis suspendue par les liens de mes poignets à un autre crochet fixé à un rail du plafond qui disparaît derrière une autre double porte sur le mur de gauche. Cet endroit est un abattoir. Il ne se passe pas longtemps pour que la première porte s'ouvre. Il en sort deux formes humanoïdes vêtues de combinaisons blanches intégrales. Je ne peux distinguer ni leur visage, ni évaluer leur sexe. L'un d'eux vient se placer devant moi et m'examine sans ménagement, comme on le ferait avec du bétail. Pour eux je ne dois pas représenter plus. Le premier fait un signe de tête au second qui se met à me pousser. Le crochet glisse dans le rail en grinçant jusqu'à l'autre porte qu'on me fait passer simplement en me poussant dessus.

La seconde salle est quasiment identique à la première mais il règne ici une lourde odeur de putréfaction. Je ne tarde pas à découvrir, dans un coin de la pièce, un monceau de cadavres en morceaux que quelques personnes sont entrain de débiter comme le feraient des bouchers. A bien y réfléchir c'est tout à fait ce qu'ils sont. L'homme derrière moi continue de me pousser sur le rail sans ralentir et je passe une autre porte. C'est encore une pièce de carrelage blanc mais bien plus longue que les précédentes. Sur les côtés des dizaines d'hommes en combinaisons en rang le long des murs. Il y a des tables sur lesquelles sont disposés des objets aux formes et fonctions obscures, mais j'ai le sentiment que ce n'est pas juste pour m'impressionner. Au fond de la pièce je vois un grand fauteuil noir. Je me rapproche, toujours suspendue à mon crochet par les poignets, et je commence à distinguer une forme familière. C'est encore elle... Elle me fixe de ses yeux vitreux alors que je m'approche. Elle me fixe toujours, impassible, lorsque je m'arrête enfin en me balançant. Toujours silencieuse, elle attend... Je ne sais pas ce qu'elle me veut, j'aimerai lui demander mais aucun son ne sort de ma bouche. Un signe presque imperceptible de la tête de sa part et l'enfer se déchaine. Soudain j'entends un claquement sec, ce n'est qu'après que la douleur me submerge...

Le reste m'est trop insupportable à revivre, même par écrit... Tout ce que je puis dire c'est que cela me sembla durer toute la nuit, et même plus. Je refis le même rêve encore, et encore, et encore. Je ne suis pas parvenue à me réveiller comme cela arrive d'habitude lorsque le rêve devient trop dérangeant. Je n'aurait sans doute pas dû prendre ces somnifères, j'eusse préférée ne pas dormir un jour de plus... D'un autre côté je dois trouver pourquoi je fais ces cauchemars et qui est cette sale gamine. J'ai le sentiment que la seule responsable dans toutes les horreurs que je subit lorsque je dors n'est à imputé qu'à moi-même, à mon subconscient.

Les réponses sont en chacun de nous.

Aujourd'hui Maialis et moi avons été admises dans les Abysses. Je vais enfin pouvoir étudier les Balaurs de plus près. Je me sens comme chez moi ici. Cela vient peut-être de l'Ether mais je me sens vraiment bien. Même mon état d'épuisement me parait moins difficile à supporter. Tout me semble familier à commencer par la forteresse d'Astéria où nous sommes allées. Je crois que j'ai grandi là-bas, ou du moins y ai-je passée une partie de mon enfance. L'endroit est très différent de mon souvenir. Je me rappel des jardins magnifiques, des fontaines, des vergers... Tout cela a bien changé mais la forteresse est toujours là, aux mains des Balaurs. Il faut que cela cesse.

Une question m'est venue, c'est peut-être saugrenu mais, je me demande à quel point les Daevas peuvent modeler la matière. Si cela peut être étendu à un corps vivant. C'est sans doute même un peu de ce pouvoir que nous avons hérité d'Aion. Après tout n'est pas pas Aion qui nous a octroyé une partie de ses pouvoirs Divins ? Et ne serait-ce pas encore Aion qui aurait créé les Drakans devenus les Balaurs ? Quelques fois j'ai l'amer impression que nous ne sommes que les sujets d'une sombre expérience qui aurait mal tournée. Mais à cette question les livres de la bibliothèque de Sanctum ne répondent pas.

Si Aion a fait de nous des Daevas pour que nous puissions défendre Atréia contre les Balaurs c'est qu'Il ne peut -ou ne veut- agir directement. Alors pourquoi ? Aion aurait-il son alter égal maléfique ? En admetant qu'il existerait un autre Dieu, sommes nous les pions d'un échiquier titanesque qui opposerait ces deux Divinités ? Et ce Dieu serait-il celui des Balaurs ? Parce qu'ils doivent bien faire cette guerre contre nous pour une raison... La simple destruction du monde n'aurait aucun sens car cela les mènerait aussi à leur perte. Tant d'énigmes à résoudre...

Un dernier point me semble intéressant et probablement dangereux à exposer en publique. Les Asmodéens aussi vénèrent Aion car, après tout, eux aussi ont été créés par Lui. Nous sommes de la même race, indéniablement, même si mille ans d'évolution ont un peu changés nos apparences. Nous avons été créés dans le même but : protéger Atréia et non nous entre-tuer. Il faut repousser et détruire les Balaurs, mais pour cela nous devons nous unir au lieux de nous attaquer aux plus faibles comme le font les lâches. Hélas je crains que deux cent cinquante ans de guerre ne puisse être effacer aussi facilement des mémoires... Alors que je reste persuadée que la clef de la victoire est là.

J'aimerai bien que mon Eveil se fasse dans un monde en paix, pour changer...

Note : Pas sur que ce poème et le tableau qui l'accompagne soient acceptés à la fête de l'école...

Il fait noir, totalement noir. Un instant je me demande si mes yeux sont ouverts. Je cligne de paupières... Ils le sont. Pas le moindre son, ni un souffle d'air. Je suis allongée sur le dos sur une surface lisse. En essayant de me redresser mon front se heurte au plafond dans un bruit sourd. Quelque chose de poudreux tombe sur mon visage et me fait tousser. Ouch... Je me suis à moitié assommée mais ça va. Je commence à avoir un mauvais pré-sentiment alors que je palpe mon environnement immédiat pour m'apercevoir que je suis en réalité dans une boite. Ou plutôt... Un cercueil. Je suis enterrée vivante.

J'essaie de pousser le couvercle mais rien à faire. Je ne sais même pas à quelle profondeur je suis, ni combien de temps d'air il me reste pour pouvoir respirer. Je dois tenter le tout pour le tout. D'abord, ne pas paniquer. Je dois trouver un moyen... Réfléchi, Sil', réfléchi ! Soudain, une lumière vive illumine l'intérieur du cercueil. Je n'ai pourtant pas de collier. Je porte la main à mon cou pour m'en assurer... Cela semble venir de l'intérieur de moi, dans ma gorge. Un mot me vient à l'esprit : Vox.

Ce mot résonne en moi comme une révélation. La lumière devient plus vive, il fait plus chaud aussi. Aussitôt les parois se mettent à trembler, de la terre se glisse entre les lattes du couvercle et me tombe dessus m'obligeant à fermer les yeux. Je pose les mains sur les planches au dessus de moi. Un sentiment de colère, non, de rage, me gagne peu à peu... Mon instinct de survie. Il fait maintenant grand jour dans ma boite et la terre qui était tombée se met à flotter, en apesanteur. Je suffoque, il faut faire vite. Le couvercle cesse de trembler d'un seul coup... Puis c'est l'explosion.

Une gerbe de terre et de bois brisé sont expulsées et volent dans les airs avant de retomber en s'éparpillant autour d'un grand trou. Ma première bouffée d'air frais est un délice. J'ai envie de rire de soulagement, je suis libre ! J'ouvre les yeux pour voir la voute étoilée au dessus de moi. Puis, sans un geste, je me redresse et m'élève en flottant dans les airs. Je brille toujours et un vent venu de nul part fait danser ma robe. Doucement je pose le pied sur le bord du trou, puis le second... La lumière cesse et l'obscurité reprend ses droits.

En regardant autour de moi je peux contempler un vaste cimetière envahit de brume. Des pierres tombales par centaines. Elles sont anciennes, noircies, certaines penchent, d'autres sont tombées. Je regarde celle qui surplombe le trou dont je viens de m'échapper et je peux lire le nom qui y est gravé : Maywenn Mordraine. Ce n'est pas mon nom... Pourtant il me semble familier... Un rire et un bruit de tissus, des pas rapides. Je me retourne en essayant de percer les ténèbres... Rien. A nouveau j'entends ce rire et j'aperçois la fillette passer en courant entre les tombes. Elle veut jouer ? Très bien... Subrepticement je la vois entrer dans un mausolée orné de statues. Je décide de la suivre...

Je descend les marches de pierre. J'entends encore son rire et ses pas qui résonnent. Des torches enflammées sont accrochées aux murs diffusant une lueur orangée dans un léger crépitement. Une odeur de moisissure et de renfermé croit à mesure que je m'enfonce dans ce qui semble être des catacombes. Les murs de pierre font maintenant place à des rangées d'ossements. L'atmosphère est pesante et inquiétante. J'aperçois la petite silhouette fugace tourner à l'angle d'un couloir et je me met à lui courir après. Les couloirs s'enchainent et je me retrouve très vite complètement perdue. J'essaie de suivre le son que fait sont rire étrange mais j'ai à présent l'impression qu'il provient de partout à la fois. C'est alors que je remarque la porte. Une ouverture faite de pierres sculptées aux motifs disons... Érotiques. En m'approchant pour les détailler de plus près il m'apparait qu'il s'agit en fait d'une scène d'orgie recouvrant tout le tour de la porte... S'en est tellement réaliste qu'il me semble même les voir bouger.

Une voix murmurante appelle mon nom et je tourne vivement la tête pour regarder à l'intérieur de la pièce d'où cela provient. Je vois une forme humaine debout au milieu de la salle. J'entre à pas prudents, regardant les alentours dans l'attente d'un piège... Je fais un pas... Puis deux... Rien ne se passe. Je décide alors de m'approcher mais je reste sur mes gardes. A mesure que j'avance je peux mieux discerner les détails de la silhouette. Il s'agit d'une femme assez petite avec des cheveux roux aux reflets couleur de braises coiffés en chignon. Sa poitrine est peut-être un peu trop volumineuse pour ses proportions... Son visage est baissé, elle semble comme prostrée, en recueillement. Je me rend compte qu'elle pleure et, je ne sais pas pourquoi, cette vision me serre le cœur. J'ai envie de lui dire que je suis désolée, que ce n'est pas sa faute, mais je n'y arrive pas.

Je m'approche encore, oubliant ma prudence, pour m'arrêter devant elle. Je ne sais pas ce qu'il me prend, je la prends dans mes bras. Je veux la consoler, la protéger... De quoi, je ne sais pas... Peut-être de moi-même. Elle relève la tête et me regarde. Qu'elle est belle... Peut-être pas une beauté de miss Atréia mais à moi elle me plait. Au fond de moi je sais que je la connais, que nous sommes liées par quelque chose de fort, et ne pas me rappeler ce que c'est ou même son nom me plonge dans une détresse infinie. En me voyant elle me sourit. Ses beaux yeux vert rougit pas les larmes me fixent avec un air étrange. Nos visages se rapprochent et nous nous embrassons d'abord doucement, puis avec la passion de deux amants qui se retrouvent après une trop longue séparation.

Elle devient chaude, très chaude. Bien plus que la normale mais, je m'en moque totalement. Au début je pense que c'est l'ardeur du baiser que nous échangeons qui me fait cet effet mais... Cela vient d'elle. La chaleur qu'elle dégage devient vite suffocante. Je tente de résister mais la température est véritablement infernale. J'ai de plus en plus mal, elle est tellement chaude que je me brûle à son contact mais je ne veux pas la relâcher. Je l'aime et rien de me fera partir. Si la mort est le prix à payer alors j'y suis prête. Dans la petite pièce il fait à présent aussi chaud que dans le cœur d'un volcan. Les pierres commencent même à rougir et je suis sur le point de succomber alors qu'elle ne semble pas affectée le moins du monde. Ma robe prend feu... Puis c'est elle qui s'embrase violemment, m'infligeant le coup de grâce sans jamais rompre l'étreinte ni interrompre nôtre baiser.

Je suis morte cette nuit là...
Encore.

Tout est blanc, immaculé, d'une grande clarté. Je me sens bien, en sécurité et sereine. Je suis prête. Des âmes m'entourent, elle sont venues m'accompagner, me dire au revoir, car c'est un au revoir et non un adieu. Je le sais en fond de moi, nous le savons tous : le cycle perpétuel se poursuit, inlassablement, immuable depuis le début des temps et, probablement, éternellement. Je suis une âme également, d'ailleurs je n'ai pas de corps. Je suis une pensée. Non... Je suis une demi-pensée car nous allons toujours pas deux et mon autre moitié, mon âme sœur, est déjà partie pour la suite de son voyage. Nous nous retrouverons peut-être... Peut-être pas cette fois là. Cela n'a pas d'importance mais il est toujours plus agréable de partager ce battement de cil du temps en compagnie de nôtre autre.

Un souvenir me revient et me fait sourire : lorsque mon âme sœur n'était ni une femme ni un homme... Mais un chat. C'était assez drôle car nous ne sommes pas censés nous incarner dans des animaux. Nous ne nous quittions jamais. Elle avait pesté longtemps après cela, se plaignant de n'avoir pas pu profiter pleinement de la chance que nous avions eues d'être réunies. Il arrive souvent que l'on passe à côté lors d'une vie aussi brève mais il faut reconnaître qu'il est difficile de se trouver parmi des millions de gens. Heureusement que nous pouvions sentir ce lien unique dans tout l'univers lorsque nous étions à proximité l'une de l'autre. Deux âmes sœurs qui se retrouvent... C'est un don précieux.

Le moment était arrivé, la venue de l'enfant n'allait plus tarder et... D'ailleurs la voici. Que c'est drôle : c'est encore une fille ! Je me glisse à présent dans ce petit corps qui est fait pour moi et je retrouve déjà les sensations de la vie. Je sais que cela ne durera pas longtemps. Déjà mes souvenirs s'effacent, il en va toujours ainsi afin que nous puissions avoir une enfance comme les autres sans que nous passions pour des monstres ou des fous... Ou pire encore. Je n'ai jamais vraiment su pourquoi j'avais la faculté de retrouver la totalité de ma mémoire passée une fois l'âge de la puberté révolu. Mais je ne suis pas la seule âme ainsi. Il y en a d'autres, même si ce phénomène est extrêmement rare. Je sens que des mains me prennent mais je ne vois pas bien, ma vision est trouble... Je ne me suis jamais servi de mes yeux avant. On me pose à présent sur un corps doux et chaud. J'aime son odeur, elle m'apaise, j'écoute les battements de son cœur... C'est maman.

Il fait nuit. J'ouvre le yeux sur un paysage désolé. Tout est couvert de cendre, les arbres sont calcinés, la terre craquelée est noircie et stérile. Le ciel a disparut derrière des nuages menaçants d'un gris acier. Je peux entendre un grondement sourd sans parvenir à en déterminer la provenance. Au loin je distingue une haute construction perchée sur une crête rocheuse. A son sommet je peux voir une lueur vacillante. On dirait un phare. Je ne vois rien d'autre autour de moi alors je m'y dirige. Mes pieds nus soulèvent la cendre qui vole doucement dans mon sillage. Après un moment de marche la terre aride se change en basalte. Je continue d'avancer... Ma progression devient plus difficile, le sol rugueux écorche mes pieds, ma robe légère s'accroche et se déchire sur les roches volcaniques. Il fait de plus en plus chaud, je transpire, je m'essouffle et m'épuise. Soudain un grognement au dessus de moi attire mon regard. Quelque chose vole dans les nuages. Je peux apercevoir son ombre gigantesque se découper lorsqu'un éclair déchire le ciel. J'ai beau cherche des yeux il n'y a rien qui me permette de me mettre à l'abri. Il ne me faut pas attendre bien longtemps pour le voir fondre vers moi, me survoler et, de ses ailes puissante, freiner sa course pour se poser devant moi, me barrant la route. C'est un Dragon noir.

Son armure d'écailles luisantes miroitent. Il me fixe de ses yeux rouge et menaçants. Je connais leur point faible mais je suis sans arme ni armure. L'affronter serait pure folie mais quitte à mourir je ne compte pas lui faciliter la tâche, je ne me rendrai pas sans combattre fusse perdu d'avance. Il se redresse sur ses pattes de derrière en déployant ses ailes, gonflant son poitrail. C'est alors que, sortie de nul part, se déplaçant avec la vitesse du vent, une petite forme me dépasse et vient se placer devant moi, les bras écartés face au Dragon sur le point de m'occire. Je n'en crois pas mes yeux ! C'est la fillette aux yeux vitreux qui me protège ! Le Dragon marque un instant de surprise... Puis rétracte ses ailes en comprimant sa poche à combustion, la gueule grande ouverte. Je me couvre le visage avec un bras en détournant la tête. Son souffle ardent vient frapper la gamine de plein fouet mais celle-ci ne cille pas. Les flammes sont déviées autour de nous par un bouclier invisible ! La force de l'impact la fait reculer en laissant la trainée de ses pieds. La chaleur dégagée n'en reste pas moins étouffante et la puissance du souffle provoque une rafale de vent violent autour de nous faisant voler ma robe et mes cheveux comme des drapeaux dans la tempête.

Lorsque je regarde à nouveau... Il n'y a aucune trace de la fillette et du Dragon. Tout a disparut. Il fait beau. Un merveilleux soleil brille dans un ciel bleu. Je peux entendre le chant des oiseaux et des insectes de l'été. Je suis dans une immense prairie couverte de fleurs sauvages et d'herbes hautes aux couleurs tendres. Un vent doux vient caresser mon visage et jouer avec mes cheveux. Ma robe légère flotte doucement. Les bras écartés j'avance, pieds nus, effleurant les herbes du bout de mes doigts et laissant derrière moi s'envoler les graines de pissenlit. Au loin, accrochée au bord d'une falaise qui domine l'océan, je distingue une petite maison à la façade blanche. Ne voyant rien d'autre autour de moi je décide de m'y diriger.

Une fois en haut je suis devant une maison très mignonne en bois lasuré de blanc. Elle n'est ni grand ni petite, juste ce qu'il faut. La porte s'ouvre en grinçant et je la vois dans l'embrasure qui me sourit. Elle m'attendait. Je n'arrive toujours pas à comprendre pourquoi cette gamine hante mes rêves, ni si elle est amie ou ennemie. A quel jeu joue-t-elle ? Lentement elle lève le bras pour pointer du doigt l'horizon derrière moi. Je me retourne alors pour admirer cette vue magnifique. D'un coté l'océan majestueux, l'écume sur la crête des vagues ressemblant à de petits moutons blancs, de l'autre de vertes vallées parsemées de petites touches de couleurs. J'aimerai rester ici toute ma vie... Me tournant à nouveau la fillette a disparue. Je baisse alors la tête et quelle n'est pas ma stupeur lorsque je découvre un chat noir se frotter à mes jambes en miaulant.

L'univers est si vaste et cette petite flamme seule éclaire l'infini.

C'est à peine l'aurore. Je viens de me réveiller en sueur. Mon rêve de cette nuit était... Torride. Cela me chance des horreurs habituelles même si cette expérience onirique était véritablement des plus extrême. J'ai envie d'aller voir Ceylati pour le lui raconter mais j'ai entendu dire qu'il y a une étrange petite femme à la peau d'ébène qui dors à l'infirmerie, sans compter que la porte est défoncée...

Je ne sais pas pourquoi j'ai cette impression de changer. Une métamorphose s'opère au plus profond de moi. Peut-être sont-ce mes souvenirs qui refont surface qui en sont la cause ? Cela fait des jours que je ne suis pas retournée dans les Abysses et je commence à ressentir une sorte de manque, c'est peut-être lié... A moins que ce soit autre chose. Il est grand temps que je rencontre Maître Vordek pour lui faire part de mon désire de mener des recherches dans les Abysses. Ses conseils seraient précieux, j'en suis sûre.

Je crois que la femme de mon rêve était une Asmodienne. Je dis "je crois" car sa peau était sombre mais ses ailes dépourvues de plumes. Je ne rêve que de femmes... Allez savoir pourquoi... Comme si les hommes n'avaient jamais comptés dans mon existence. Je n'ai pourtant rien contre la gente masculine. Un corps d'homme peut être aussi beau que celui d'une femme peut être laid. Cela dépend des cas, du ressenti... Il est vrai que l'on est attiré en premier lieu par attrait, la beauté physique. On a envie de ce que l'on peut voir ou s'imaginer. Cela vient généralement avant l'attirance pour la personne elle-même.

Peu importe homme ou femme, en fait. Je ne regarde pas l'extérieur des choses, je ne regarde pas avec les yeux. Cela dit, le comportement joue pour beaucoup et je suis tout de même sensible à la féminité, et à la maturité... Tant sur le côté intellectuel que physique bien que ce dernier point passe en second plan pour moi. J'aime les âmes... A quoi bon un corps de rêve lorsque l'âme est noire, pourrie ? Il est amusant de constater que ces gens sont souvent les plus imbus de leur personne, aveuglés par leur orgueil. J'espère ne jamais devenir ainsi ou il faudra alors m'achever.

Je suis comme une étoile filante, une comète. Je fend l'espace et le temps tel un dauphin se joue des courants, sautant par dessus l'écume des vagues. Je virevolte, libre, si libre... Le silence m'enveloppe comme un cocon douillet. Je vais si vite que rien ne semble pouvoir arrêter ma course folle à travers l'univers. Je sais où je vais... J'y vais tout droit, me servant des planètes que je frôle pour accélérer encore et virer plus facilement, plus véloce qu'une pensée. Je ne suis pas seule. Personne n'est seul. L'univers n'est pas un immense vide infini. Il est remplit, il déborde de vie mais, peut-être pas au sens où les mortels l'entendent. Tout est en mouvement, perpétuellement. Tout change et se transforme sans cesse.

Je vois enfin ma destination. C'est d'abord un simple petit point perdu, un grain de sable au milieu d'un désert. Mais ce point est une oasis qui grossit rapidement à mesure que je m'approche. Elle est d'un bleu magnifique et déjà je peux distinguer des continents. Il y en a trois. Je commence à décélérer en pénétrant dans l'atmosphère. Je ne laisse rien sur mon passage. Pas de glace, pas de morceau de roche, aucune flamme, totalement immatérielle. La résistance de l'air ne peut me ralentir et je fonce vers le sol qui se rapproche vertigineusement. Mon but est là devant moi...

Je me suis arrêtée et je flotte à présent au dessus d'une clairière. Une petite fille va naitre d'une seconde à l'autre dans ce monde qui ne compte encore que très peu d'âmes tant il est jeune. Je vois ses parents, mes parents, seuls dans la nature hostile entrain de me mettre au monde. Soudain je sens une présence à coté de moi et je vois mon âme sœur qui me sourit. Elle aussi a fait le voyage, elle sera ma jumelle dans cette vie là aussi. C'est notre première incarnation... Le premier âge vient de commencer.

La lande verdoyante s’étend à perte de vue, s’offrant à mon regard avec une simplicité désarmante. Enroulée dans un châle de laine, les cheveux au vent, je contemple ce paysage d’émeraude et de saphir, tapis de mousse et de rivières serpentant entre les collines. Au loin les douces notes tristes d’une flûte s’élèvent au dessus d’une chaumière à la cheminée fumante, autour de laquelle quelques moutons paissent paisiblement. Entre mes bras, bien au chaud dans mon nid de douceur et de baisers, Enora s’est endormie. Ma joue contre son front je savoure cet instant d’un bonheur simple au milieu d’un champ de coquelicots avec ma fleur.

Qu’elle me paraît loin cette île luxuriante, joyau posé au milieu de l’océan. Je crains parfois qu’elle n’ai le mal du pays, son pays. Maintenant que je sais où est ma famille, je ne peux l’en retenir éloignée si elle désir retrouver les siens. Pour moi… Mon pays c’est elle, mon sang circule au rythme de son cœur, peu importe la latitude du moment qu’elle est près de moi, ma douce fleur rousse aux baissés sucrés. Il n’est nul autre endroit ou je désires être qu’ici, maintenant et à jamais. Un petit nuage en forme de lapin cotonneux flotte dans le ciel azuré me faisant sourire. Des escaliers de lumière, ponts entre le ciel et la terre, illuminent la campagne baignée de quiétude. Que ne ferais-je pour elle... Je l’aime tant.

Ce nouveau rêve me laisse le goût étrange d'une douce mélancolie.

Une Daeva se tient debout au milieu d'un monceau de cadavres. Au premier abord il me semble qu'elle est nue mais je m'aperçois qu'elle est en fait vêtue d'une robe diaphane extrêmement légère laissant deviner les charmes de son anatomie. Je la regarde de dos, ses ailes sont déployées. Elles ne sont ni blanches ni noires mais... Les deux couleurs mélangées. Je peux l'entendre sangloter... Alors ma pensée la contourne et je réalise que... C'est moi. Alors je regarde les corps sans vie jonchant le sol. Il y a là autant d'Elyséens que d'Asmodiens. Ils se sont visiblement entre tués, aveuglés par leur folie meurtrière... Des frères ennemis.

Je me regarde et je me trouve belle, terriblement sexy... Oui, bon, je sais... Ce n'est probablement pas l'endroit ni le moment mais je dois avouer que dans ce rêve je suis vraiment canon ! D'accord, j'arrête... N'empêche que... Ca va, ça va !

J'entends un rire moqueur derrière moi et, me retournant, je vois la fillette, perchée sur les vestiges d'un mur en ruine qui me regarde. Elle ne regarde pas la moi Daeva aux ailes chinées mais moi... Moi. Que peut-elle bien vouloir me montrer cette fois-ci ? J'ai l'impression qu'elle veut que je vois toute l'inutilité, l'utopie, de vouloir rassembler au lieu de diviser. Est-ce un avertissement ou simplement essaie-t-elle de me fustiger pour quelque chose que j'aurai fait ? Tout ceci est bien obscure... Je n'arrive vraiment pas à comprendre où elle désire en arriver.

Un bruit derrière moi attire mon attention... Je me retourne et je me retrouve nez à nez avec la Daeva qui me fixe, du sang coulant de ses yeux noirs. Ma stupeur est de courte durée. Rapidement elle fond sur moi comme un rapace sur sa proie, son visage déformé par une haine indicible, terrifiant à tel point que je me réveil en sursaut... Me laissant sur ma fin. Il m'a semblé que ma présence n'était pas du goût de cette... autre moi improbable. Aurai-je vu quelque chose que je n'étais pas sensée voir ou était-ce autre chose ? Je crains de ne jamais le savoir. Je ne comprend rien à ces rêves... C'est véritablement frustrant.